PIERROT
Mais ou sont les neiges d’antan?
Il ne reviendra pas le temps où, la mandoline enrubannée sur le dos, tu te baladais, Pierrot, dans les grands parcs bleus de Watteau…
Ton bonheur semblait aussi éternel que la splendeur des lys de France, et cependant ils ne sont plus, les grands parcs bleus de Watteau…
Les noires usines fument
sur tes promenades aimées, le grondement des machines étouffe ta chanson, la marque de fabrique a remplacé l’Écusson.
Il ne reviendra plus le temps où, aux premiers accords de ta mandoline enchantée, on abaissait le pont-levis, le temps où le châtelain te priait de prendre à poignée, dans le secrétaire œuvre d’art, le prix de ta chanson; il ne reviendra pas le temps où le marchand lui-même t’achetait un rayon de soleil!
Le peuple: Pierrot, c’est moi qui suis le coupable, c’est moi qui t’ai arraché ta défroque de satin, c’est moi qui ai dévasté tes grands parcs bleus…
Viens donc chez nous, mon blanc frangin. Toi aussi tu portes une blouse, toi aussi tu as la face pâle; viens chez nous, ta chanson ne nous sera pas inutile à nous, et nous te la paierons cher….
- WILLETTE.
Willette (Adolphe-Léon).
Peintre et dessinateur français né à Châlons-sur-Marne en 1857 et mort à Paris. C’était un triste spirituel et charmant les lecteurs de l’Age Heureux doivent d’autant plus réserver touchante pensée que, quelques mois avant sa mort t, il avait dessiné à leur intention plusieurs menus amusants où figurait fameux Pierrot, l’une de ses plus délicieuses créations. Nous aurons, du reste, l’occasion de reproduire d’autres œuvres de cet artiste si fin et si français, dont l’esprit frondeur s’accompagnait toujours de la plus exquise bonté. Willette était fils du colonel Willette. Entré à l’École des Beaux-Arts, il y fut l’élève de Cabanel et débuta au Salon de 1881 avec une Tentation de Saint Antoine. Mais, bientôt, il s’adonnait au dessin et collaborait assidûment au Chat Noir puis au Courrier Français. Ses Pierrots et ses Colom bines lui ont valu d’être surnommé le Watteau montmartrois.
Achetez, il va trépasser!»
DESSIN D’UNE IRONIE MACABRE, COMPOSÉ PAR WILLETTE LORS D’UNE GRAVE MALADIE. L’ARTISTE SUR SON LIT DE DOULEUR REÇOIT LA VISITE D’UN RICHE AMATEUR EN QUÊTE DE LA BONNE AFFAIRE, LE MÉDECIN-APOTHICAIRE ENCOURAGE CELUI-CI A PROFITER DE L’OCCASION, PAR UN RAFFINEMENT D’IRONIE, LE TABLEAU MIS EN VENTE ÉTAIT ENCADRÉ DE NOIR.
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