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Le Dessin pendant la Guerre par Willette. Lezing op 27 januari 1917.

Le Dessin pendant la Guerre par Willette. lezing tekst; opdracht aan Péladan. Les Amis de Paris (Tekst onder de afbeeldingen.)

opdracht aan M. Péladan.

tekst van de lezing:

LE DESSIN PENDANT LA GUERRE

PAR A. WILLETTE

LA POURSUITE

Prix: 0.75

“LES AMIS DE PARIS” A LA MAIRIE DROUOT

Conférence DU JEUDI 25 JANVIER 1917

 

Le Dessin pendant la Guerre PAR ADOLPHE WILLETTE Paris, 28, Rue Lacroix (18)

 

“Les Amis de Paris”

Par la voix du canon d’alarme,

La France appelle ses enfants:

Allons, dit le soldat, aux armes!

C’est ma mère, je la défends!

 

« Allons, dit aussi l’artiste, aux armes! C’est << notre mère, je la défends!… Et il saute sur… son crayon, avec la foi naïve, qu’il peut tuer l’agresseur par le ridicule!

Quelle douce illusion! Apprends ô mon frère l’artiste, que l’arme du ridicule est une arme qui s’émousse sur le front bovien de la stupidité!

Tel le taureau exaspéré par les banderilles bruissantes, devient plus redoutable encore pour celui qui doit l’effondrer par l’épée.

C’est parcequ’ils sont revenus de cette illusion que tant de nos jeunes et même de nos vieux confrères ont préféré le fusil au crayon, pour combattre les bourreaux des mères et les ennemis de l’art.

Ici, je m’incline devant nos chers blessés, avec une respectueuse émotion jointe à une profonde reconnaissance, car le conférencier est un vieux papa, le père de deux petites filles que leur courage contribua à préserver du sort qu’a fait subir à tant de leurs petites sœurs de Belgique, du Nord et de Champagne, le boche massacreur des enfants!

Voici les noms de ces braves, fierté de notre corporation:

Puechmacre,

André Devambez,

Bernard Boutet de Monvel,

Gus Bofa,

Gérard Cochet,

Lortac.

Salut aussi aux martyrs!

Qu’ils reposent dans la gloire pour laquelle ils vivaient et pour laquelle ils sont morts:

Henri May Bevery,

Pierre de Coutouly,

Georges Drechsler,

Jean Guiet,

Louis Tallon Nollat,

Eugène Nicod,

Louis Galice,

de Losques,

Jean Morin,

Touraine,

tous tombés au Champ d’Honneur!

Honneur aussi à ceux qui y luttent encore!

Honneur à toi, mon cher Victor Rey, qui, avant de devenir Gouverneur de la Guyane, a été le premier Secrétaire de ce beau journal, organe de notre jeunesse enthousiaste, Le Chat Noir! aujourd’hui simple canonnier au front avec son jeune fils Robert, poète exquis.

Honneur à toi aussi, mon vieux et cher Jean Veber dont le crayon et le pinceau, sans quartier, inquiétaient déjà, avant la guerre, l’ennemi national!… Je salue ta belle médaille militaire!

Honneur encore, Messieurs, à notre art utilisé, si intelligemment, par la guerre, pour la guerre, sous la forme du camouflage, précieux service, si bien fait par les camarades dont était Devambez, blessé à l’ennemi.

Adonc Castigat ridendo mores ». Oui, il châtie… peut-être, mais il ne tue pas, le ridicule.

C’est couru! Il ne pourra, par exemple, jamais tuer Sa Majesté la Femme qui, à l’instigation du couturier boche, fait bien tout ce qu’elle peut pour se suicider par la crinoline, par la tournure, par les chichis, par la robe culotte ou entravée et par toutes autres fariboles!

Ici, Mesdames, j’ouvre une parenthèse, en faveur de l’actuelle jupe courte qui permet d’entrevoir les vôtres si gentiment gainées de cuir fauve. J’ose même vous assurer, Mesdames, que le souvenir de cette mode gracieuse autant que pratique (puisse- t-elle durer!) sera, certainement, un des meilleurs que j’emporterai de cette terre sur laquelle je n’aurai garde de revenir!…« Ah! je m’en souviendrai de cette planète !…» n’a pu s’empêcher de s’écrier enfin à son départ pour l’éternité, cet admirable résigné que fut Villiers-de-l’Isle-Adam,

Pas plus que la femme, le ridicule n’a pu tuer une autre Majesté, celle de cette bonne poire de Louis-Philippe qui, pour sa manie de pacifiste endurci, mériterait bien, à cette heure, d’être exalté par les disciples exagérés des ceusses qui en sont venus à bout par la barricade!

Pour le repos de leur conscience ou plutôt pour la tranquilité de celle de leurs neutres, les féroces peuplades de l’Allemagne se sont mises sous l’égide d’un dieu qui est odieusement ridicule comme tout ce qu’inventent ces sauvages!

N’est-ce pas un de leurs plus fameux philosophes, Hegel, le père du Positivisme, qui a dit que l’infini était Allemand?

Les ridicules du boche, ce sont ceux de la folie; on ne rit pas des fous, on s’en rend maître par

la force.

L’erreur dont nous avons redouté, il y a deux ans et demi, le retour, a été déjà commise, avec combien d’autres, hélas! en 70.

A cette époque, pour nous si humiliante que nous nous efforcions de l’oublier, pour les traits du crayon, la cible était double alors « l’arme du ridicule frappait un empereur vaincu aussi inutilement qu’elle visait un roi vainqueur. Ah! la pitoyable collection que celle des dessins satiriques de cette époque néfaste à tous les points de vue: 70-71!

Aux débuts de la guerre actuelle, on vit réapparaître une nuée de semblables inepties, heureusement sans valeur artistique, et la farce n’étant pas supportable devant l’angoisse et l’horreur des événements, de la devanture de magasins fermés où elles pendaient, si lamentablement, ces sottes images retournèrent en face… au ruisseau.

Alors, après la dispersion de la cohue des courtauds et des goujats qui gênaient son passage, la Chevalerie de l’Art s’est ébranlée et a pris position.

Oui, Messieurs, oui, Mesdames, l’Art français est à la hauteur des événements c’est alors que les dessinateurs ont compris que leur art venait d’être promu à une sorte de magistrature et qu’ils devaient ou bien témoigner, ou bien illustrer d’implacables arrêts.

Tout en volant ou en violant, tout en massacrant ou en incendiant, l’Allemand, comme tout bandit pris sur le fait, s’est empressé de clamer: n’est pas vrai l… La Postérité répondra: Ce Le manifeste de tes 93 savants qui, entre parenthèses, avec 7 loups font cent bêtes, est un sale chiffon « de papier.

<< Voici tes crimes!… j’en conserve les preuves précieuses dans mes musées, dans mes bibliothèques « et dans les cartons d’amateurs, anges gardiens « de la chose artistique, car c’est la Vérité qui <<< constitue l’œuvre d’art ».

Et c’est ainsi, grâce aux artistes, que le dégoût, ô Boches immondes, empêchera de tourner la page présente de votre Histoire; elle sera alourdie, cette page, du sang innocent que vous répandez à flots! ou bien ce seront, trop abondantes, trop brûlantes, les larmes de la pitié qui rendront illisibles les suivantes, si belles qu’elles puissent devenir!

Qui, scélérats, c’en est fait de vous!

L’Art a immortalisé vos crimes!

L’Art vous a condamnés à l’infamie perpétuelle !

« Nous avons, depuis longtemps, renoncé au sentiment a osé écrire l’une des plus en vue de ces brutes. Avait-il besoin, ce Luther permissionnaire de l’enfer, d’avouer au monde cette monstruosité? Alors que nous avions reconnu, dès leur sinistre apparition, que leurs œuvres d’art étaient dépourvues de tout sentiment et n’étaient inspirées que par l’idéal d’une organisation si savante qu’elle en était imbécile.

En effet, bien avant cette guerre démoniaque, l’Allemagne n’avait-elle pas tenté une invasion soi-disant pacifique, en mobilisant ses peintres, ses architectes, ses ébénistes… que c’est comme un bouquet de fleurs! pour introduire en France, avec leurs stupides théories, leurs barbares produits, de même que déjà ses savants et ses philosophes avaient fait pénétrer et adopter leurs doctrines… en Sorbonne!

Pour conquérir, l’idée, contrairement à la mode, ne doit pas se présenter sous le vulgaire aspect de l’uniforme, de l’uniformité qui est le contraire de l’art puisque l’ennui naquit de celle-ci.

En France, la Vérité resplendit d’autant plus que la clarté de sa divine nudité est accentuée par l’ombre d’un léger doute!… un peu de scepticisme ne messied pas à notre race qui veut, grâce à la libre fantaisie, conserver ses traditions de grâce et d’amabilité.

Quant à la Vérité qui nous venait d’outre-Rhin, elle nous a apparu coiffée et bottée, telle une princesse boche, colonelle honoraire d’un régiment de hussards de la mort!…

Et dire que cette chienlit a failli nous éblouir!

Alors… oh alors s’ils avaient réussi, les boches, à nous organiser et si nous avions marché… derrière eux… au pas de parade, ce serait donc, aujourd’hui, en des formes, aussi énigmatiques pour nos contemporains que pour notre postérité, que nous devrions exprimer des sentiments que, depuis les cavernes de la Dordogne jusques à Versailles, nous avons reconnus être ceux de nos pères immortels !

Mais oui, les poires, le kubisme était le bâillon qui devait faciliter le coup du père François » qui nous était, depuis longtemps préparé et qui vient de rater, grâce au dévouement de nos guerriers.

Et nous conservons notre langue si claire et dont les accents d’amour ou de malédiction ne s’éteindront qu’avec le monde!

Et nous conservons le goût de la forme câline parallèle aux ondes harmonieuses qui vont se perdre dans l’infini!

Nous conservons la courbe qui caractérise la forme de la beauté féminine et celle de nos biceps exercés pour la défense de celle-ci.

Nous gardons le cercle qui est, pour la France, sa couronne de lauriers, comme il est, pour Sainte Geneviève et, bientôt, pour Jeanne la bonne Lorraine, l’auréole!

Allez! allez, les têtes carrées!… continuez à vous faire adoucir les angles par notre mitraille!

Et quant à vous autres, les farceurs indigènes, les Moules-à-Gaufre, retournez, au pas de parade, si ça vous chante, à l’école… Corvi!

Le casque, que l’Institut lui-même n’a pu tuer par le ridicule de la réfrigérante tradition qui remonte à David, le véritable inventeur du pas de parade en art, est, aujourd’hui, pour toujours réhabilité! Depuis plus de deux ans, Achille est populaire et, même mutilé, il est aussi beau que l’antique! Enfin souriante, comme la dessinait Prud’hon, Pallas, la belle déesse, ne tardera pas à devenir l’idole des Français et si les susdits Moules-à-Gaufres s’avisaient encore à déserter la Foire aux pains d’épices, leur camp de concentration, pour chahuter le casque désormais sacré, oh! alors, je suis à présent bien tranquille, c’est le peuple qui, se souvenant d’avoir construit la cathédrale, se chargerait de leur faire expier ce sacrilège et leurs macabres rigolades inspirées par la bière de Munich!

Et nous, Français de France, revenus à nous- mêmes, n’attendons pas à demain pour nous mettre à l’œuvre :

Il faut nettoyer!

Il faut assainir!

En effet, la Maison garde encore les traces avilissantes de la dernière tentative de Kultur qui y a été faite par les Boches. Rassurez-vous, Messieurs, je ne veux parler que de ce qui est de ma compétence, ainsi que m’y oblige le titre de cette conférence.

Durant les années encore françaises, nos rues étaient gaîment décorées par les affiches de Jules Chéret, de Grasset, de Steinlen, de Forain, d’Hermann-Paul, de Willette, de Maurice Neumont, de Poulbot, de Georges Redon, d’Abel Truchet, de Léandre.

Le public était-il donc si las de voir les œuvres de ces artistes, qu’on crut devoir les remplacer par l’affiche étrangère, remarquable par le kolossal de son format et l’insolence native?

C’est, le plus souvent, un malotru qui montre les passants du doigt, cependant que ce geste impertinent est encore interdit, par leurs parents, aux petits Français.

Et puis, et surtout, c’est, pour la Ville Lumière, le cauchemar de ce hideux et kolossal bébé qui annonce le produit mousseux d’une maison se disant bien française, mais dont le tort grave a été d’adopter ce monstre indubitablement mis au monde par mama Germania.

Nous avons aussi l’obsession d’une variante de la célèbre enseigne du peintre allemand Kaulbach: c’est une verseuse de bière planant dans l’espace sur.. un tonneau!

A droite, en entrant autrefois à la Taverne Pousset, il en existait une copie exacte en céramique. L’honorable Directeur de la brasserie qui se sert de cette enseigne, pour sa publicité, et qui est aussi le maire d’un arrondissement de Paris a dû, bien trop tardivement, être renseigné sur l’origine de cette composition car, aujourd’hui, l’acrobatique verseuse a dénatté sa chevelure et porte, sur la bedaine, une énorme cocarde tricolore!

Par quelles mystérieuses intrigues, le commerce pourtant aussi satisfait que le public de l’œuvre de de l’artiste français, a-t-il cru devoir y renoncer pour s’engouer de l’insane publicité allemande?… L’un commandant et l’autre acceptant, sans protestation, sont, l’un et l’autre, sans excuse d’avoir perdu le goût que leur avaient donné les maîtres de l’affiche et aussi les artistes du Courrier Français, journal créé pour la publicité d’un petit phar- macien de Sainte-Menehould et dont les vingt-sept années, de réussite pour le commerçant et de succès pour les artistes, ont été la preuve indéniable de l’agrément du goût français et de son efficacité commerciale!

Mais hélas! on était arrivé à le méconnaître et même à accepter cette réputation d’inconvenance que lui faisait, à ce goût français, l’étranger intéressé à sa disparition et aidé, en cela, par nos sectaires nationaux !…..

Hé oui! Ils ont du talent, mais ils sont trop << français!» Telle était la phrase dont on se servait, habituellement, pour nous couper et la communication et… les vivres.

Nous avons, mes confrères et moi, trop long- temps, souffert de cette légende de pornographie qui a pesé sur notre honneur et sur notre vie, pour la pardonner aux traîtres inconscients qui l’ont créée.

Le dessin, cette branche importante de la publicité à laquelle pouvaient se raccrocher, pour se sauver de la servitude, tant de jeunes artistes sans pension, a été accaparé par des commis, boches ou non, qui recopient ou retapent bêtement de vulgaires clichés photographiques expédiés de Munich!

Ah! la sale cuisine que celle de ces images qui infestent les pages des quotidiens et même celle des plus luxueuses publications!

L’obscénité de l’anatomie, de l’anatomie interne et celle-là est des plus secrète, s’y étale en toute sécurité 1

Tantôt on voit d’insipides employés qui épongent froidement des tripes, des poumons!… Tantôt c’est un ouvrier plombier qui ajuste un robinet dans le dos d’un malade! Ou bien c’est un ramoneur qui ramone l’intestin, ou bien encore c’est un autre monsieur mal élevé qui tire la langue pour se la faire gratter avec une râpe! Mais c’est ce dernier dessin que je veux signaler à votre indignation, et qui représente un de nos chers poilus poursuivant un soldat boche dans… le gros boyau!… le vrai!… celui où la peur fait plus d’effet que la gloire!

Quand ce n’est pas de l’ordure, c’est le spectacle sadique de la souffrance qu’on nous donne: ici, c’est un homme qui a le pied pris dans un piège à loup! Là, c’en est un autre dont les vêtements sont tenaillés par la souffrance! Un autre jour, c’est une petite femme qui reçoit les coups de bâton que devrait recevoir, vraiment, M. l’administrateur du journal!

Une des preuves certaines de l’origine boche de cette honteuse publicité est dans la représentation fréquente de ces vieillards nains, à grande barbe et à capuchon pointu si populaires, en Allemagne, sur les cruchons à bière et dans la décoration des brasseries.

Voilà donc, ô lecteurs et abonnés des quotidiens, ce que, profitant de votre indifférence ou de votre paresse d’esprit, on vous fait avaler, en même temps que les sales drogues annoncées et le Zigomar à l’américaine du feuilleton!

Je m’étonne que vous soyez encore sains de corps et d’esprit!… ce dont, pourtant, je me réjouis.

Toutefois, il faut reconnaître que, tandis que le « Cercle Rouge mène une vie de boche, au rez-de-chaussée de certains journaux, dans l’article de tête, leurs directeurs ne cessent de demander, à vous, du cœur, et à la Nation des canons et… de la mitraille!… Excusez ce dernier mot, il est de l’argot.

Vous qui êtes tous lecteurs ou abonnés, voulez- vous, avec moi qui le suis aussi, avoir l’énergie de demander à ces Dufayels du journalisme, de veiller à ce que leur page de publicité soit française?

Messieurs, Mesdames, je vous disais que je me réjouissais de vous voir, au sortir de ces gaz asphyxiants, encore sains de corps et d’esprit, et c’est la vérité, parce que la besogne pressée qui vous attend est de nettoyer, d’assainir.

De même que de coupables fonctionnaires avaient laissé enfermer notre reliquaire national « l’Arc de Triomphe dans un cercle de monstrueux Claques- Palaces, de même, par notre désaffection parricide, nous avions laissé s’élever les sinistres palissades dont la cynique publicité vantait l’invincible supériorité allemande et qui, depuis trop longtemps, nous cachaient la radieuse figure de la France!

C’est donc aussi aux vaillants de l’arrière (il y en a) qu’incombe le devoir sacré de délivrer la Mère Patrie de l’infâme in pace duquel nous l’entendons appeler ses enfants, cependant que les immortels martyrs du Front la mettront hors des atteintes sacrilèges ! Dieu le veult!

< Laboremus!  > Travaillons!… et voici que la sublime victime nous apparaît encore plus belle que nous la voyons dans nos regrets, dans nos rêves!

Voyez!… Elle a le sourire! Allons, courage!… C’est le sourire de la délivrance! C’est le sourire de la victoire!

Au bruit de sa délivrance

Les Nations brisent leurs fers

Et le sang des fils de la France

« Sert de rançon à l’Univers! (1)

Vive la France!

  1. WILLETTE.

Paris, 22 Janvier 1917.

1.Chanté par le Conférencier.

 

Conseils Théoriques et Pratiques

TOUCHANT

L’ART ET LA MANIÈRE

D’ACCOMMODER ET DE RACCOMMODER

CIV’LOTS ET POILUS

PRÉFACE

Le titre de ces essais paraîtra peut-être un peu archaïque, mais il m’a séduit par sa brièveté.

Pourquoi ces conseils!

Tout simplement pour éviter une nouvelle guerre : la guerre des Poilus et des Civ’lots.

Car cela est hors de doute ces deux races, issues pourtant de la même espèce, ne se comprennent plus.

Un exemple:

Dès qu’un civil rencontre un permissionnaire, il croit devoir s’exclamer, un tantinet narquois :

Mâtin! quelle bonne mine !…

Le poilu sourit. Il sourit, d’abord parce qu’il est poilu, ensuite parce qu’il est en perm et aussi parce qu’il se rend compte qu’une franche explosion de ses sentiments stupéfierait son interlocuteur. Mais, au fond, tout au fond, il est fou de rage…

C’est qu’il pense:

Qu’est-ce qu’il chante avec ma bonne mine »?… Mettrait-il en doute les souffrances que j’ai endurées, les dangers que je courais encore il y a quelques heures et ma petite part d’héroïsme?… Pas très chic, ça!… Ou bien entend-il tout bonnement me féliciter sur la fraîcheur de mon teint?

Si le poilu admet cette dernière et pacifique hypo- thèse, sa fureur ne connaît plus de bornes…

«Bonne mine! Singulier cri du cœur… Au plus indifférent de ses congénères qui manquerait de glisser sur une pelure d’orange, ce civ’lot demande- rait, ému: Vous ne vous êtes pas fait mal? Et à moi qui, par miracle, m’échappe de l’enfer, tout ce qu’il trouve à dire, c’est: Quelle bonne mine! >> Elle est raide…

Donc, de toute évidence, poilus et civ’lots ne sont pas à la même page, les premiers croyant parler à des camarades revêtus de l’uniforme civil, les autres semblant mettre une certaine complaisance à con- fondre « campagne avec « partie de campagne ».

D’où heurts, froissements, rancœurs, Qu’un incident de frontière surgisse c’est la guerre, la petite guerre tout au moins or, la grande nous suffit amplement!

En quelle sinistre situation nous trouverions- nous, au front, pris entre deux feux?… Et les civ’lots, eux, pourraient-ils tenir bien longtemps, si armés fussent-ils de leur indéfectible stoïcisme?

On frémit rien qu’à l’idée d’envisager les conséquences d’une lutte aussi fratricide qu’il urge d’éviter.

Qu’il urge! oui, qu’il urge!

Car enfin c’est invraisemblable, soit! mais tout arrive… la guerre peut finir un jour…

Si, ce jour-là, la paix subitement déclarée, nous n’étions pas prêts… prêts à nous embrasser?…

Œuvrons donc au plus vite,

Informons, avec ménagement, les civils qui ne s’en seraient point encore aperçus, qu’il se passe actuellement un phénomène qui s’appelle la Guerre. Et expliquons leur gentiment qu’aux hommes qui, avec un gros besoin d’affection, reviennent de cette guerre pour sept jours il ne faut point parler tout à fait comme s’ils revenaient de la pêche.

Et, d’autre part, supplions les poilus de ne pas violenter d’une main trop rude le voile rose que se tissent avec tant d’amour nos frères d’intérieur.

Il ne faut faire au bon civ’lot

Nulle peine même légère…

Ce leur sera, d’ailleurs, assez facile. Le poète n’a-t-il pas dit:

Il y a dans tout «homme » un civil qui sommeille…

 

GEORGES FABRI, Soldat au e d’infanterie.

 

La Revue du Front et le Souvenir

Fondateur: JEAN DES VIGNES ROUGES.

 

RÉPONSE DE A. WILLETTE A UN POILU

CHER JEAN DES VIGNES ROUGES,

Hélas! il n’est que trop vrai qu’il se trouve, en ces temps difficiles, des “civ’lots” à la langue intempestive, mais il serait peut-être dangereux pour l’Entente Nationale de généraliser ce type de gaffeur qui exaspère le bon poilu Georges Fabri.

Ecoute, cher poilu, j’vas te dire eune bonne chose ce civ’lot, ce pékin, pour moi artiste, ce philistin de la bêtise duquel tu souffres, en perm…, eh ben, c’est le même qui m’aura fait enrager tout le temps de mon congé sur cette terre!

C’est le même, qui, devant le kiosque à journaux où sont exposées mes dernières œuvres, m’arrête du bout de sa canne, pour daigner s’informer de moi:

  • Qu’est ce que vous faites maintenant ?… Travaillez-vous?… »

C’est le même influencé par une notoriété acquise, fort heureusement malgré lui, qui me dit, lors d’une autre rencontre Hé! oui, parbleu! vous avez du talent!… mais vous êtes trop Français !… et après un temps « Je vous inviterais bien, mais j’ai de la famille. >>

C’est le même qui, dans la conversation, m’en- tendant citer une pensée de La Bruyère, émit sévèrement: < Ça, c’est encore de l’esprit de Montmartre!>

C’est le même qui, après avoir eu connaissance de mes offensives contre les ennemis d’hier de mon pays et contre ceux d’aujourd’hui, me posait cette question: Mais que diable vous ont fait les Anglais?…. ou bien: « Que vous font donc ces pauvres Allemands?….

C’est le même qui, me regardant peindre, coupe mon enthousiasme désintéressé d’un: «… Et ça vous est bien payé?… »

C’est le même, oui vieux frère, qui, me voyant décoré, à cinquante ans, de l’ordre de la Légion d’Honneur, saisit le revers de mon habit et, me regardant profondément dans les yeux, me souffle ceci: On est sérieux à présent?… >>

Pour les gens pratiques, tout homme qui a un idéal et qui sacrifie sa vie, sa vie entière à cet idéal, qu’il soit prêtre, docteur ou soldat, est un artiste, et c’est pourquoi il n’est pas plus compris que respecté par ces égoïstes imbéciles.

  1. WILLETTE.

Les Épinettes, 6 février 1917.

 

Quel est donc le poilu, dont les permissions passées parmi les civils furent de rudes écoles, qui a eu un certain jour ces deux trouvailles que, depuis, on se fait passer comme une consigne, de régiment en régiment:

Il est bon que tu aies la croix de guerre si tu veux t’asseoir dans le métro.

Une sottise dite avec aplomb, d’une voix måle, vaut mieux qu’une parole de bon sens dite avec modestie. Décidément, il y a désaccord entre le pathétisme littéraire de l’arrière et la poignante sérénité de l’avant.

L’Intransigeant, 12 février 1917.

 

 

 

 

 

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