Mardi 16 mai 1916
LA BIBLE DE LA JUSTE HAINE
- Willette fustige les assassins allemands
Qu’on veuille bien me pardonner de dire, comme cela me vient, ce qui m’arrive en cette minute même. Je sors, profondément ému, la fièvre aux temps de l’exposition A. Willette. I y a là, dominant tout le reste, quarante-deus dessins, près desqels les documents officiels sont placés comme preuves d’authenticité : ses dessins résident, avec un terrifiant réalisme, la vérité, l’atroce vérité des barbaries allemandes. Rien d’image. C’est là ce qui fut, sans vain arrangement, sans souci de composition pour faire effet leurs crimes illustrés que un maitre soucieux de ne rien exagérer of dont chaque trait de plume, pourtant, atteint le formidable et le monstrueux dan l’abomination.
Aprés la guerre, il faudrait pouvoir composer de ces pages tragiques, en recueil tiré à quarante deux millions d’exemplaires, La Bible de la Juste Haine, que tout français devrait garder sous les yeux. Décrire ? Non. Il vaut mieux que vous voyiez. C’est la grande leçon, à la fois d’amour fraternel, pour ces pauvre êtres qui furent les victimes, et d’eternel mépris pour les bourreaux, qui, plus sanguinaires que les tigres, ont osé et perpétré froidement ces raffinements dans l’assassinat.
J’ai surpris tout à l’heure, devant ces œuvres dont eût frémi Goya, des gens, les poings crispés, les dents serrées, fermant les paupières pour retenir leurs larmes entre les cils. Allez voir. « Il faut, comme dit Willette dans son catalogue, que vous vous sachiez que vous vous souveniez » Les Misérables !!!
Autour de ce pilori, vous rencontrerez aussi, représenté par de très nombreux envois, le Willette de la guerre, le puissant dessinateur de L’Appel aux Armes, de La Poursuite et de Gallia Vitrix, le « Vrai Willette »trop méconnu, trop limité à ses adorables pierrots et petits amours, le Willette qui, cette fois (et une fois de plus), mais aujourd’hui avec quelle robuste et juvénile et mâle santé, cousin de Rude et de Daumier, s’apparente à nos plus grands artistes et parfois les égale.
Ces cousinages, nous les connaissons, nous savions que cet inépuisable inventeur de satire et d’esprit méritait mieux que l’étroit domaine des places Clichy et Pigale, où le cantonnait la sympathie circonspecte d’amis plus dangereux que des ennemis. Nous n’ignorions pas et n’étions pas sans regretter avec tous ceux qui, franchement, reconnaissent ce qu’il a en lui, que Willette eût depuis longtemps dû recevoir à décorer de plus larges pans dé murailles qu’il n’en obtint dans nos édifices publics. Nous savions tout cela…
Mais nous ne pouvions prévoir que la guerre pût restituer à sa verve un tel et si fougueux rajeunissement. Et c’est merveille, en vérité, de retrouver là un. Willette qui, ajoutant aux grâces privilégiées dont il nous enchanta quand il avait trente ans, sut par cette vaillance dans l’attaque, cette terrible volonté dans le geste qui châtie, surpasser, depuis vingt mois, le Willette frondeur, sarcastique et si âprement justicier que nous avions aimé.
Son exposition, qui fera époque dans sa carrière, a été inaugurée hier, galerie Devambez, 43, boulevard Malesherbes, par M. Dalimier, sons-secrétaire d’État aux Beaux-Arts.
Pascal Forthuny.
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