REVUE FRANÇAISE
Chez Adolphe Willette
Qui n’a vu, à Montmartre, en quelques cafés, à la Taverne de Paris, dont il décora les murs en des fresques brillantes, de tonalités bleutées et fluides, ou à la Brasserie Graff, qui n’a vu le masque rasé. étrange et pâle de Willette, où l’éveil des yeux, le plí des lèvres, pincées et pensives, qui mettent la note à la fois tendre et gamine est comme l’expression extériorisée de cette belle nature d’artiste? Il est presque le Pier- rot de son dessin, par la pâleur indécise du visage, l’ovale doux et cerné du contour, et cette sortie d’inquiétude, éveillée, un peu énigmatique,, un peu amère, qui le regard et le sourire…
Il a même, le bon Willette, voulu un jour s’identifier intégralement avec son personnage, en modifiant toutefois la couleur de l’habit! en Il parut en Pierrot noir, publiquement, au grand ébahissement du gros public et à la joie de ses amis. Ce dessinateur, enthousiaste subtil, cet humoriste attendri et très Parisien, a, comme homme. la spontanéité joviale et quelquefois ingénue d’un véritable gavroche. Sous la bonhomie prime-sautière de la farce et du geste, il dissimule pour quelques heures ou quelques jours l’artiste un peu mélancolique qu’il est. Il s’amuse à des jeux innocents. Il s’habille en femme, en marin, il se peint les cheveux en rouge, il laisse pousser des touffes de barbe en triangle sur ses joues. Ii laisse aussi parfois ses cheveux Hotter, en boucles ondoyantes et diverses sur une tête qui prend alors la grâce sereine et penchée d’un bon curé de campagne.
C’est dans le vieux quartier de Batignol les, que nous trouvons chez lui, en son petit hôtel, celui qui aujourd’hui représente glorieusement les destinées de la République de Montmartre.
Dès le seuil, un écriteau imprimé se dresse devant vous, sur lequel on lit:
Sous peine de congé
Défense à mes domestiques de laisser qui que ce soit pénétrer dans mes ateliers ou logement en mon absence sous prétexte d’écrire, Il y a dans le quartier des cafés ou des tavernes très comme il faut et pourvus de papier, d’encre et de plumes.
- Willette.
On pourrait croire, en lisant cette protocolaire pancarte, que le maître est un homme inabordable, d’une morgue et d’une sévérité à nul autre pareil. On est vite rassuré. Wil lette vient à vous, souriant, la pipe à la bouche, le feutre sur l’oreille, la main tendue. Au mot de caricature, Willette éclate d’un rire sonore :
« Sont-ce des considérations sur l’art mo- derne que vous venez me demander, mon cher ami….
Mon Dieu! pas précisément; notre su jet est plus restreint, mais enfin… toutes les les idées que vous voudrez bien émettre nous intéresseront au plus haut degré. »
Mais déjà Willette a accroché la conversation et, avec l’enthousiasme que ses familiers lui connaissent, il s’écrie:
-Aujourd’hui les Français sont tellement ignorants qu’on leur fait croire tout ce que l’on veut. On nous sert des écrivains russes que tout le monde admire parce que personne n’a lu Diderot. Partout on nous impose des choses bizarres et biscornues dont l’art décoratif pour ne parler, pour l’instant, que de celui-là, a le a le monopole.
Ahl si on remontait à la puissante et saine tradition du moyen âge, au lieu de faire un style pour Loufoc-City! Mais il ne faut pas désespérer.
Tenez le jour du 14 juillet, j’ai vu dans des bistros de l’avenue de Saint-Ouen, des gens qui écoutaient de vieilles danses, et qui prenaient plaisir à exécuter sur ces vieux airs des pas du pays. Ils étaient C. & mais ils dansaient comme leurs à l’influent bien entendu, vous ne croyez pas peut-être de la pères! En les voyant, je me suis dit: Il n’y a rien de perdu. Ils peuvent redevenir des bâtisseurs de cathédrales ou de quelque chose d’équivalent.
Tout en causant, Willette m’entraîne dans son atelier, un atelier sobre et vivant, plein d’une intense clarté où, sur de grands panneaux, de grandes toiles, s’échevèlent les personnages issus de son imagination folle et de son rêve embaumé. C’est tout le poème de Montmartre, du Montmartre d’antan qui chante dans l’air et l’azur de cette féerie in- tarissable qu’est la peinture de Willette.
Enfin, il faut tout de même que je me prononce sur vol votre enquête, continue le bon maître, mais j’avoue que je ne peux pas évoquer ce sujet sans rire, Parler de la caricature?
Et Willette retire sa pipe de sa bouche pour laisser éclater sa gaieté en cascade joyeuse:
Ah!… Ah !… hi !… hi!….
Le maître reprend son sérieux et nous tient ce langage, que nous rapportons fidèlement. Que les victimes de son humour lui pardonnent!
Ah! l’affreux mot et dire qu’il nous vient du pays de Raphaël ou mieux de Polichinelle:
me demander ce que je pense de la caricature, c’est me demander ce que je pense de la vie et de l’art actuels; adonc, je crains que nous ne finissions par en mourir de rire!
Le jour prochain, n’est-ce pas monsieur Léon Bérard où les âneries des artistes d’avant-garde (toujours du militarisme) seront considérées comme étant de l’art officiel, il sera alors logique de tenir, pour de la caricature (caricare, en italien) les œuvres des Michel-Ange, des Rubens, des Delacroix, lesquels ont toujours (et comment!) chargé l’humanité; alors ce jour-là, la caricature sera re- connue comme étant du grand art cependant que la gloire de ces maîtres restera intacte.
Il y a belle lurette que la caricature est glorifiée à l’Institut, dont les pitoyables membres, Forain excepté, passent leur existence à faire la charge des chefs-d’œuvre de l’école italienne. Le plus fameux, mais le moins rigolo de ces caricaturistes palmés et empanachés a été le peintre David; d’abord, sous la terreur, lâche insulteur de la Reine menée au supplice, assassin comme membre du tribunal révolutionnaire, de pauvres suspects, inventeur du pas de parade en art et qui s’illustra par la caricature imbécile qu’il fit de l’antiquité.
« Que souhaitez-vous, mon mon cher maître, » demandons-nous à Willette, « à l’avenir de la caricature? »
« …Mais je pense, tout simplement, qu’elle n’en a pas; elle peut, à mon avis, se contenter du présent, où elle a de quoi y faire, et surtout du très-passé… »
« Ne seriez-vous point partisan de développer cet art spécial? »
« A quoi bon chercher à caricaturer son semblable? »
« Mais encore?… »
« Chacun de nous n’a-t-il pas, derrière son masque de chair, beau ou laid, sa caricature définitive… sa tête de mort, le même crâne grotesque et ricanant dont la révélation a inspiré à Holbein ce véritable chef-d’œuvre de l’art caricatural: «La danse macabre ». »
« ..et, bien entendu, vous ne croyez pas à l’influence de la caricature sur les masses ? »
« Non, je ne crois pas que la caricature ait une influence sur les masses ; le vieux peuple français, bien qu’aimant à gouailler, et quoi qu’il en dise, demeure attaché aux sentiments aristocratiques; il aime « l’ouvrage bien faite », et lui-même a fait trop de belles choses pour s’engouer de la déformation. »
(A suivre.)
Maurice HAMEL.