L’Exposition de Willette
C’est un triomphe et c’est une consécration. Ouverte de ou pavillon veille, cette exposition avait attire dimanche, on pavillon de Marsan, une selle affluence que l’on ne pouvait plus s’approcher des cimaises Seuls, le grand Parce Domine et le très grand plafond La Pensée tyrannisée émergeaient suffisamment de cette foule pour qu’on pût les regarder De quelque catégorie que fussent les visiteurs ce n’était qu’un cri : cri: c’est charmant. Chacun donnait ce mot – très français et par conséquent très souple – le sens qui répondait le mieux à sa façon d’admirer, mais le sentiment était unanime. A proprement parler, tout le monde était sous le charme.
Or s’il est difficile de donner en mot une définition précise, il n’est cependant à peu près personne qui n’en nettement la signification. Ce mot signifie plaisir produit une sorte d’enchantement, attrait peu Explicable mais impérieux, beauté plaisante, élégante et fine. Tous ces synonymes conviennent à l’œuvre de Willette et cet artiste sont très insuffisants. II est hors de doute que set artiste est le plus spirituel et le plus gracieux dessinateur de ce temps.
Son titre de gloire le plus assuré, c’est de ne ressembler a personne et d’apporter, dans l’art français, une note qui lui est absolument personnelle. Il ne faut le comparer ni aux Daumier, of aux Gavarni, ni aux Charlet, ni aux Cham, ni surtout à aucun de nos contemporains. C’est une œuvre à part, un composé inimitable d’ironie, de gaminerie, de tendresse, de révolte. C’est aussi un hymne à l’indépendance et à toutes les joies simples et saines de la vie.
On le juge mal d’ordinaire, parce que son oeuvre est innombrable, un peu touffue, assez souvent inégale, parce qu’elle s’est répandue Intarissablement en des journaux où le reste de la collaboration n’était pas toujours digne de lui, aussi et surtout parce que la façon même dont ses oeuvres étaient présentées leur donnait un air de journalisme hâtif et sans grande portée.
Mais les vrais amateurs d’art ne s’y sont jamais trompés et, même au temps du Pierrot, qui date d’il y a quinze ans, ou de telles autre feuilles éphémères d’il y a vingt ou trente ans, ils se disputaient et mettaient en bonne place dans leurs collections ces petits chefs-d’œuvre.
Il n’est que juste aujourd’hui de saluer, dans les cartouches de l’exposition, le nom de ces connaisseurs. On y retrouve, naturellement, le nom de M. Olivier Sainsère et celui de M. Gustave Geffroy. Ce sont ces amitiés réconfortantes qui ont soutenu l’artiste dans les heures de découragement. Citons aussi le nom de M. Théophile Belin, qui a eu le courage d’acheter le Parce Domine en un temps où très peu de gens partageaient son admiration, et qui a eu l’heureuse audace de faire à Willette de très importantes commandes, comme celle du grand plafond La Pensée, du délicieux écran Les contes de Perrault, du portrait de M Belin et de ce spirituel et charmant ex-libris que l’on peut voir dans les vitrines.
Ces amitiés sont précieuses à tous les artistes, mais Willette en avait besoin plus encore que les autres, car ce farouche indépendant refusa toute sa vie d’accepter la discipline des journaux à grand tirage et des collectionneurs qui exigent ceci ou cela. « je veux bien vous faire un dessin, mais je le ferai comme il me plaira. »
Telle fut sa règle. Aussi ne s’enrichit-il point et se trouva-t-il trop longtemps dans l’obligation de travailler pour des périodiques qui, le payant peu, ne pouvaient pas avoir la prétention de le brider ni de lui fournir ses sujets ou ses légendes. Heureuse infortune! C’est grâce à cette indépendance si infiniment honorable que Willette a pu donner libre cours à sa fantaisie. Personne, plus finement ni plus vaillamment que lui, n’a raillé les faux bonshommes, les hypocrites, les cruels et les lâches. Il a exalté les doux, les pauvres, lés humbles, les sincères et les indépendants. Toutes les beautés saines et char- mantes, il les a célébrées d’un crayon alerte, spirituel et attendri. Personne n’a mieux chanté le printemps, la fem- me, ni la grâce délicieuse des bambins nus. Rappelez- vous ses Contes de Perrault, la Cendrillon, son Chaperon rouge, ses Pierrettes, ses Pierrots, ses Parisiennes à l’air fûté, et toute cette série de gracieuses petites créatures par l’intermédiaire des- quelles il exprime son amour de la vie et son admiration attendrie pour tout ce qui est sincère, jeune et beau !
Et c’est une merveille de voir que les moindres prétextes: dessins rapides à propos d’une actualité, couverture décorative pour un livre, dessins pour un menu de restaurant ou un banquet deviennent entre ses doigts l’occasion de donner l’élan à son imagination. Un dessin pour le menu du restaurant de la Nouvelle-Athènes, restaurant depuis longtemps disparu, est une pure merveille de grâce, de fantaisie et d’exécution.
On sent nettement que Willette travaillait toujours d’improvisation, sans modèle précis, mais en puisant dans le recueil intarissable de sa mémoire, riche en souvenirs et en observations de toute espèce.
Et cette façon de procéder lui est tellement naturelle que ses œuvres les plus travaillées sont d’ordinaire les moins bien venues. Voyez, par exemple, le projet pour un plafond aux galeries Lafayette et demandez-vous si l’œuvre définitive (qui n’a pas été exécutée, et c’est tout de même bien dommage) aurait pu avoir cette aisance, cette liberté heureuse, cette grâce légère. Ce croquis est un bijou. Il est indéfinissable et capiteux comme le charme même de Paris. C’est une sorte d’apothéose de la coquetterie et de la gentillesse parisiennes. Si j’avais à choisir entre cette ébauche et le Parce Domine, je crois que c’est encore cette feuille de papier que j’emporterais comme un voleur son trésor!
Mais il passe aussi dans certaines œuvres de Willette comme un souffle d’épopée. Patriote et cocardier, il a magnifié, sans forfanterie et sans déclamation, la bravoure, l’amour de la patrie et l’amour de la liberté. Voyez par exemple cette lithographie admirable qui nous montre l’épopée impériale disparaissant dans le brouillard de la légende et de la défaite. Cela ne le cède en rien à Raffet et c’est du meilleur Willette. Voyez aussi la jeune République protégée à Valmy par les recrues de 1793 et dites-moi si jamais on exprima mieux l’espoir de la France et l’élan de toute la jeunesse ! Voyez encore le dessin qui s’intitule « même désarmée, la France sera encore la plus belle » et dites-moi s’il y a jamais eu, même au XVIII siècle, plus de grâce dans l’invention, plus d’aisance dans l’exécution et plus de gentillesse dans la fantaisie!
Il se peut que les grandes peintures de Willette prêtent davantage à la discussion. Son crayon est aussi spirituel que celui de Watteau, mais il n’a pas comme ce grand peintre les dons prestigieux du coloriste. J’ai toujours trouvé un peu con- fus et un peu triste le fameux Parce Domine, et je ne trouve pas non plus le grand plafond la Pensée aussi libre d’exécution et aussi heureux dans le coloris que le laissaient espérer les croquis à la sanguine. Mais je me souviens avoir vu, jadis, dans l’atelier de l’artiste, les décorations destinées à l’Hôtel de Ville de Paris et en être revenu charmé; je me rappelle également une décoration appartenant à un particulier, non loin de la place Clichy, et qui est éblouissante d’esprit et de gentillesse.
Malgré les efforts des organisateurs, cette exposition du pavillon de Marsan donne donc une assez juste idée du Wil- lette dessinateur, mais ne nous représente que fort imparfaitement le Willette peintre et décorateur. Les visiteurs ne peuvent donc pas épuiser en ne seul lieu leur plaisir et leur admiration. Il faut qu’ils aillent aussi dans quelques maisons privées et surtout à l’Hôtel de Ville.
ACHILLE SEGARD.