
Willette, peintre de la grace.
Printemps de la vie.
tekst van Neumont:
Willette est mort; pour avoir trop battu aux douleurs des autres, son cœur si généreux et si tendre a cessé de battre. Une foule énorme et nombreuse a suivi jusqu’à sa dernière demeure l’évocateur exquis de Pierrot sublunaire. Pour dire ici un dernier adieu à ce descendant des maîtres du XVIIIe siècle, en qui s’incarnaient toute la gaminerie et toute l’ironie de Paris, quel artiste était plus désigné que M. Neumont, dont on lira ci-dessous les lignes émouvantes! Il fut un des plus fidèles amis du grand disparu, qui en aimait et en appréciait le talent si divers et si raffiné.
<< Oh! Banville, n’abandonnez pas vos Pierrots, votre Pierrot plus pâle encore que de « coutume! » C’est le point final que mettait, il y a quelque quarante ans, Willette à l’ultime numéro de son journal « le Pierrot ».
Il est plus pâle encore, maintenant que la mort nous l’a repris, l’artiste qui a prodigué la plus étourdissante fantaisie mêlée à la sensibilité la plus exquise et au métier le plus sûr.
Willette est mort et nous sen- tons, nous tous qui l’avons connu et qui l’avons aimé, com- bien était grande l’attirance de cette nature tous le pleurent aujourd’hui et l’hommage sin- cère du peuple s’unit à celui des artistes et des lettrés.
Sa vie, si capricieuse, si variée en apparence, est bien unie cependant: il fut tout à son art, à son pays, à sa famille.
Il était né en 1857, à Châlons- sur-Marne, où son père, officier d’Etat-major, pour qui tout se résumait d’un mot: «Devoir », tenait garnison. C’est de lui qu’il reçut cette horreur instinctive du laid sous toutes ses formes, qui le hanta toute sa vie et ne lui permit pas de suivre certaines routes qui l’eus- sent cependant conduit plus sûre- ment peut-être à la gloire et surtout à la fortune.
Mais il suffit de regarder le ravissant portrait qu’il a placé en tête de son « Feu Pierrot » et qui le représente dans les bras de sa Mère pour comprendre d’où venait cette délicatesse de cœur qui para son art de tant de charme. C’est ce mélange de droiture, de courage et de sensibilité exquise qui en fit un artiste si français.
** *
A treize ans, il voit la guerre, la captivité avec son père à Cassel, la Commune, impressions terribles pour cette nature si fine, et cependant peut-être ayant moins marqué encore leur empreinte que le sou- venir du lycée. Oh! ces années de captivité, de chiourme! Il n’y a pas longtemps, il avait à demeure sur sa table de travail une photographie du vieux portail d’entrée du lycée de Dijon et il nous disait : <<« Quand je souffre trop, je regarde <<< cette photo et je me dis que je « ne pourrai jamais être aussi mal- <<< heureux que de ce temps-là ».
Aussi, 1875, l’atelier Cabanel, la joie de peindre, de voir de tous ses yeux étonnés la vie, les femmes, les fleurs, ce fut la délivrance.
Il connut toutes les luttes, toutes les souffrances, mais aussi toutes les joies que pouvait lui donner son tempérament d’artiste. Car il savait mieux que quiconque que « rire est le propre de l’homme ». L’artiste savait faire place au gavroche et narguer la misère. Nul n’a su avec autant de délicatesse « tutoyer » la mort même.
Qui ne connaît ses « Premières roses»: la midinette arrachant une fleur à la couronne accrochée au corbillard d’un gros bourgeois, — ou bien Pierrot embrassant Colombine devant une tombe: « Quand même » !
Il le pouvait parce que son art était tout de tact et de grâce.
Ses haines mêmes, lorsqu’elles lui étaient personnelles, se traduisaient de façon gamine et malicieuse plutôt que méchante. Témoin cette multitude de coups d’épingles dont fut victime l’Ane Rouge (Salis), qui devinrent vraiment des flèches lors- qu’il s’agit de venger non point lui, mais les camarades qu’il jugeait exploités.
***
L’œuvre de Willette est tellement nombreuse, il a éparpillé à tous les vents tant de dessins, de lithos, de légendes qu’on reste confondu. Partout l’on retrouve la grâce qui fait quasi un proverbe de cette phrase: << C’est un Willette ».
Ce n’est point l’heure de juger l’artiste qui laisse de vrais chefs- d’œuvre et que l’histoire classera parmi ceux qui marquent une grande place dans l’Art français.
Il souffrait parfois de n’être considéré par la masse que comme un gracieux ». Il avait une culture très étendue et une sorte de don prophétique. Certains de ses dessins, datant de longtemps avant-guerre, nous font rêver, nous qui avons connu les horreurs pressenties par ce Pierrot que nul cependant n’eût pu prendre un instant au sérieux dans un rôle de Cassandre.
Le peintre exquis du chevalier Printemps fut aussi le peintre tragique de « la Fédérée ».
S’il fut le grand, il fut aussi le bon Willette. Nous ne sommes point seuls à le juger tel, nous les camarades de lutte: il suffit de parcourir ce quartier des Epinettes où tous connaissaient la silhouette familière de l’artiste, son exquise nature, sa gaîté et sa fine ironie, sa verve et sa bonne humeur, son œil bleu malicieux et cependant aussi pur que celui des enfants qu’il adorait, son bon sourire…
L’amoureux de Montmartre, le peintre du temps des cerises et de Mimi Pinson, le grand artiste et le grand honnête. homme que fut Willette n’est plus, mais il est impossible que son nom et son œuvre ne vivent pas comme un défi à la mufflerie du temps.
Maurice NEUMONT, Vice-président et Secrétaire général de la Société des Dessinateurs-Humoristes.