A Montmartre, La clinique des p’tits Poulbot. no. 22 blz. 602 / 603 opening clinique 1 ill.
met tekeningen van: Neumont, Millière, Coite, Orsi, Avelot, Willette, Roux, Warnod en Poulbot.
A MONTMARTRE
La Clinique des p’tits Poulbot
…Oui,… vous connaissez Poulbot. Inutile de vous le présenter.
– Quoi, vous insistez. Allons-y.
Poulbot est le peintre, le dessinateur des enfants, de ces enfants de Paris qui sont plus des « gosses » que des enfants véritables, et qui n’ont de l’enfance que la naïveté, plus que le bonheur. Nul mieux que lui n’a rendu plus justement ce produit bizarre de Paris, cette fleur de la rue : le gosse. Il l’aime, il le com- prend, il le devine. Il excelle à saisir les traits essentiels de ces petits bonshommes livrés à eux-mêmes, étonnés de peu et pourtant naïfs, cyniques et pourtant rêveurs, puérils et pourtant roublards, gouailleurs, moqueurs, observateurs, ré- fléchis et fantasques, vicieux et na- ture, sales, dégoûtants, miséreux, mais tout de même pas méchants, parce qu’ils ont la divine blague pour se consoler, et parce qu’ils ont envie d’être heureux…
Poulbot est bon, il aime, il adore les tout petits. Et les enfants le lui rendent bien. Hier, ils ont pris leur peintre ordinaire par la main, et tout doucement, tout sûrement, ils l’ont entraîné à venir poser la première pierre du Dispensaire des petits Poulbot ». Ce fut une belle cérémonie.
Rue Lepic, 42. Onze heures du matin. Un soleil aussi pâle qu’il est possible. Un ciel chargé de nuages lourds. C’est le marché dans la rue, et les ménagères. montmartroises font leurs provisions, en savates, portant dans les filets des bottes de poireaux, une profusion de ra- dis (à croire que tous les habitants de la Butte s’en nourrissent exclusive- ment) quelques artichauts et une ava- lanche de salades.
Devant la « Pomponette », que dirige. Arthur, une foule considérable. Il y a là -à tout Seigneur, tout honneur le bon Willette, président de la République de Montmartre, entouré de ses fidèles lieutenants: Maurice Neumont, Millière, Geo Roux, Orsi, Avelot, André Warnod, Gilbert Gile, Debray, directeur du Mou- lin de la Galette; puis le Roi des Halles en personne, M. Eugène Rousseau; le charcutier Mallet, le secrétaire Henri-P. Claude, Bachimont, Walheiser et tant d’autres. Ils étaient tous en redingote. Quelques-uns avaient sorti leur chapeau haut de forme. Ils venaient assister à la pose de la première pierre d’un établissement de bienfaisance enfantine.
Autour d’eux une amusante délégation de gosses et de gosselines de la Butte, un peu toilettés, mais bien Poulbot quand même. Les yeux écarquillés vers le trou où on allait mettre une pierre, ils se consolaient de ne pas trop comprendre, en grignotant des gâteaux secs.
Avec une gravité souriante, Willette introduisit dans le bloc de maçonnerie un tube de cuivre cacheté renfermant le parchemin indispensable indiquant la date de la cérémonie. Puis, ayant ainsi confié son œuvre à l’immortelle Histoire, il jeta, d’une truelle experte, du ciment sur la pierre.
Une délégation de ses féaux sujets, l’aîné avait bien cinq ans, et de ses citoyennes, la plus coquette en avait bien six, vinrent le saluer. Bouquets, ciné- ma. Un gosse, qui n’aime pas les cérémonies officielles, se mit à pleurer. ‘Le ciel, par un fâcheux esprit d’imitation, fit de même. On se réfugia dans une salle de café où, devant un vermouth, on glorifia la charité et la bonté de la Marianne montmartroise, sous le principat de Willette 1er.
Et bientôt le dispensaire s’élèvera au fond d’une cour, sur un terrain concédé gracieusement par M. Arthur Delcroix, On bâtira la un atelier de belles dimensions où l’on donera, trois fois par semaine, des consultations médicales, où l’on distribuera tous les jours une centaine de litres de bon lait pur aux enfants malades, chétifs et pauvres, et, trois ou quatre fois l’an, des vêtements, du linge, des chausures.
Les artistes de Montmartre accueilleront chez eux tous ceux qui, vivant sur la Butte sacrée, feront appel à leur bienfaisance. Déjà les docteurs Heine et. Kohn leur prêtent gracieusement un concours précieux et dévoué entre tous…
Le dispensaire sera alimenté, quant au numéraire indispensable, par des dons et par le produit des fêtes que l’on donnera en son honneur et à son profit, A Deauville, pendant les fêtes de la Pentecôte, la République de Montmartre a déjà quêté pour ses petits protégés. Elle ira prochainement à Trouville, à Corbeil, à Ezanville, à Cannes. Ainsi, généreusement les artistes montmartrois qui ne roulent pas sur l’or, loin de là, s’emploient à secourir les misères et les tristesses de l’enfance pauvre… Est-il bien nécessaire d’ajouter que Ion recevra avec reconnaissance, au dispensaire, les dons que l’on voudra bien lui adresser?
Jusqu’à présent nous dit Poulbot en souriant, je n’ai reçu qu’une lettre. La voici. Elle est inédite… Lisez et n’abîmez pas l’orthographe…
Et je lus :
Monsieur,
Je vous écrit au nom de tout mes camarades pour vous remerciez des sacrifices et de l’argent que vous avé dépensez pour nous. Veuillez agréer, monsieur, nos salutations empressées.
André R…
Et Poulbot ajouta:
Et je ne demande pas d’autre récompense!
Edouard SATTLER,
citoyen de la République de Montmartre.