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WILLETTE CROQUIS INÉDIT, POUR UNE COUVERTURE
L’ACTUALITÉ ET LA CURIOSITÉ
SUR L’ART DE WILLETTE
Faire seulement de Willette le sonneur de renommée du Chat Noir et le chantre lyriquement malicieux de Montmartre, est, sinon diminuer, du moins étrécir la portée de l’œuvre. C’est donner une vue fragmentaire, par conséquent partiale, de l’art de Willette. Que le perpétuel Pierrot soit né sur la Butte, qu’il ait eu des plaisirs non pareils et toujours renouvelés à regarder les habitants et les petites femmes, à muser à travers les rues, de la rue Lepic au flanc du Sacré-Cœur, voilà qui est indé- niable comme une constatation. Mais Pierrot fut mieux et davantage que le promeneur amusé, que l’observateur narquois de cet authentique et attendrissant vieux Montmartre d’avant les autocars & Paris on night ». Willette a transposé, dans son Pierrot, la candeur universelle que les faux bons- hommes et les hommes de proie haïssent, poursuivent et torturent, la raillerie souriante et mordante qui plaide pour les humbles et les tendres, se jouant, jusqu’à les rendre ridicules ou odieux, des égoïstes de tous poils, des bourgeois sans âme, mesquins, injustes et incompréhensifs.
L’art de Willette relève surtout de ce grand humour qui est la flagellation vengeresse, amusée et amusante, des jouisseurs au cœur de glace et des persécuteurs que le sentiment mène à la seule vénalité.
De telles qualités eussent pu offrir une œuvre d’aspect hautain, parfois, mélancolique et amer; l’art de Willette, par bonheur, est le reflet de l’homme lui-même, et les satires les plus vives y sont gracieusement enrubannées à la française, plus qu’à la montmartroise de fantaisie et de gaîté, de jeunesse, d’insouciance et d’amour.
La parenté de Willette avec les peintres galants du XVIII siècle est certaine; il lui arrive même de se hausser jusqu’à la libre, voluptueuse et belle expression d’un Fragonard. Tout comme Fragonard il est séduit par la vie qui passe, plus que par les leçons de l’École; il regarde, il note, il dessine, et c’est son instinct qui prend le pas sur l’enseigne- ment. Sa verve, sainement gauloise, ne décrit pas le libertinage arrière, les hypocrisies qui le chuchotent! mais l’amour de l’amour, la sincérité passionnée, l’ivresse sacrée devant la vie multiple et merveilleuse qu’il faut décrire, défendre et aimer.
Cette vie multiple, Willette nous l’a contée sous de multiples formes, de La Veuve de Pierrot, exposée au Salon de 1886 et de la fameuse fresque Parce Domine du Chat Noir, jusqu’à sa dernière frise des Péchés capitaux, en passant par le plafond pour l’hôtel de feu Fernand Xau, par le carton A la gloire de Paris, pour la Manufacture des Gobelins, par la décoration si claire et si spirituelle de la buvette du Conseil, à l’Hôtel de Ville, par les plafonds et les panneaux de la Cigale et de Tabarin… Il faut se rappeler la belle enseigne A l’image Notre-Dame pour le libraire Théophile Belin et qu’on peut voir encore quai Voltaire; l’enseigne disparue A Bonaparte pour le café tenu, rue Bona- parte, par un certain Lempereur… Il faut se rap- peler l’album Cent dessins de Willette, se rappeler ses affiches lithographiques, ses dessins à la plume, au crayon, à la gouache… Et ce labeur immense, jamais ralenti, mettra en valeur, par une pente toute naturelle, la magnifique ampleur, la fraîche et saine gaminerie, la diversité de l’expression de toutes les planches de Willette dans la collection du Courrier Français.
Avec Francis Carco je m’écrie: « Willette demeurera << le cerveau hors de la cosse » à l’âge indéfini mais tendre que les poètes lui ont assuré. »
Romantique, il faut ajouter. L’art de Willette est et demeurera une des cordes les plus fines, les plus sensibles et les plus vibrantes de la grande lyre française.
CHARLES FEGDAL.
